Les visiteurs

Il y a des types comme ça, sans connaître, tu te prends d’affection pour eux.

C’était le dernier soir de décembre, humide et froid comme de coutume dans le coin. L’Atlantique baigne pas loin et ses colères portent profond dans les terres. Pas de vent, non, des nuages gris et bas, chargés d’embruns glacés.

J’avais rendez-vous chez elle à dix-huit heures et ma montre me démangeait autant que le fourreau de mon sexe.

Dis comme ça, c’est un peu cru surtout quand on la connaît pas, Elsa, mais c’est qu’elle me faisait de l’effet la meuf. Une jolie rousse au cœur tendre, aux seins lourds et souples et aux yeux de biches effarées. Bon, là c’est un peu dit en désordre, c’est l’émotion quand je parle d’elle.

Parler d’elle, c’est se fourrer dans un tourbillon de sensations, une valse de sentiments, un feu d’artifice de joie.

Si ! si ! Dire qu’elle est belle peut paraître un brin banal. Elle vous réchauffe le cœur de l’intérieur en deux temps trois mouvements. Là, c’est une métaphore pour exprimer que je l’aime, mais si on parle mouvement, c’est à ses mains que je pense, à sa bouche aussi et tout ce qu’elle sait faire avec. Et là, si on parle toujours d’amour, c’est plutôt travaux pratiques, voyez ?

Elle caresse, suce et avale avec un naturel désarmant. Là, je parlais cuisine, n’allait pas vous méprendre, mais si c’est de la méprise qu’il faut causer, c’est pareil.

Suis un peu empoté de la syntaxe, faut comprendre, Elsa c’est du sérieux.

Six mois qu’on se fréquente, qu’on se voit quand elle n’a pas son fils une semaine sur deux. Des week-ends en amoureux, des gâteries à table qu’elle me confectionne et au lit qu’elle me pratique.

Elle aime tout Elsa, salé, sucré, salé-sucré, c’est pareil en amour, parfois gymnique, c’est tourne et retourne, c’est… Bouleversant de bonheur. Si j’avais imaginé à quel point…

Alors, oui, je disais, c’était le dernier soir de décembre, j’attendais au bistro, pas très loin de chez elle. Elle avait séance de danse avant, puis super marché pour alimenter son frigo et égayer nos repas en amoureux de ses folles recettes.

Je buvais une bière au comptoir, il cognait son portable à grand coup de doigts sur les touches. Ça se voyait, il avait des trucs à dire, gros sur la patate et fissuré du cœur, ça se sentait. En face, il y avait du répondant, mais pas vraiment du genre apaisant et là ça s’entendait.

Bip ! Plop, plop, plop, plop, plop, plop, silence bip, plop, plop, silence, bip, silence, blop, blop, bip et cetera sur un rythme énervé. Vous voyez ? Pas besoin de faire un dessin, la belle ne sortirait pas ce soir, ou l’envoyait paître.

Il avait une tête de chien battu, la cinquantaine, pas vilain et depuis le dernier texto, les yeux embués.

Là, tu te dis, s’il y a du chagrin, c’est qu’il y a de l’amour. Toi quand tu baignes dans le bonheur, que celle que tu aimes s’agite pour te tresser un nid d’amour et qu’à deux pas t’as un gars qui s’énerve sur les touches de son clavier, les doigts mouillés de larmes, si t’es pas paralysé de la conscience, ça te bouleverse.

Mon côté sensible. Pff, la vie…

Pi, t’as fatalement connu ça avant. Tu peux que te mettre à sa place, te fondre dans son désarroi, te vautrer dans sa détresse. En même temps, tu peux rien faire.

Un SDF tu lui glisses une pièce, un affamé un sandwich, un blessé un pansement, mais un déposé du cœur, là…

Tu peux lui dire :

— Allez, Jeff, ne pleure pas, t’es pas tout seul, mais n’est pas Brel qui veut.

Suis allé à sa table, c’est pas humain tant de détresse.

Je lui ai dit.

— Alors, dur !

Ouais c’est pas original, mais fallait bien lui dire quelques choses. Il a fondu dans mes bras, sa tête dans mon cou. Momo qu’il se prénommait. On a eu tout le bistro pour témoins, et moi la honte. Si ça se trouvait c’était un chagrin d’amour Homo. Et moi l’homo c’est pas mon genre. Je l’ai un peu repoussé, mais pas moyen de l’écarter. J’avais le cou mouillé de larmes.

— Si tu m’expliquais l’ami, que je lui ai dit.

Il a bien essayé, mais le récit pleurnichard se noyait de sanglot qui rendait peu clair la cause de son émoi.

Pour le peu que j’ai pu comprendre, l’homme qui habitait loin avait voulu faire une surprise à sa belle.

Du genre :

— Surprise je suis là ! Près de chez toi !

— Ben la surprise avait tourné en eau de boudin, la belle ne voulait pas voir son amoureux qui s’était tapé cinq cents kilomètres de route rien que pour elle.

— Je ne peux pas ce soir, j’ai mes enfants ! Qu’elle lui avait dit ! C’est même pas vrai, c’est pas sa semaine. Il avait insisté, elle l’avait envoyé paître.

— Pourtant elle m’aime, elle me la dit.

Bref, une histoire d’amour banale qui se la coulait douce tant qu’il n’y avait pas de surprise et la surprise du chef n’avait pas plu à la belle.

Je me suis farci le détail de leur rencontre, leurs jours heureux et ses postillons mêlaient de morve triste. Je me suis fait promettre qu’il ferait pas de connerie. L’heure passait, il était temps que je file, je l’ai laissé à son chagrin, j’ai volé vers ma belle.

Après c’est interdit au moins de dix huit ans!

Télécharger l’épub

Commentaires

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s