Brun c’est brun…
En ce mois de février, le boulevard Victor Hugo étalait ses micocouliers dénudés jusqu’aux faisceaux de lumières orangés qui réveillaient, la nuit venue, les arcades des arènes millénaires. Les rares piétons du samedi soir pressaient le pas pour échapper à la fraîcheur après immersion dans leur quatre roues motrices, citadine et cossue, chaude et gourmande en hydrocarbure.
Le cuir et la fourrure, bras dessus bras dessous, des couples chics et matures allaient chauffer leur carte bleue dans la douce ambiance d’un resto de luxe. Leurs garçons toujours plus dégingandés aux chaussures brillantes et pointues, leurs filles toujours plus poupées, fard noir pour des yeux toujours plus grands et aux bouches toujours plus charnues et rouges, s’entassaient dans un bar design orné de tags pétards et scintillants. Ils sauraient compter comme leurs parents. À chaque ouverture des baies du bistrot chic, une bouffée de basses électroniques nourries au nucléaire inondait l’avenue.
Une allée perpendiculaire brève et encore cossue tombait sur une ruelle étroite, parallèle au boulevard.
Django inspira profondément de soulagement, sa courte plongée dans le luxe désolant d’une petite ville de province qui plus est du sud de la
France, réservoir à cons d’électeurs frontistes, lui avait donné la nausée. Clarks aux pieds, jeans naturellement délavés et déchirés, il rentrait les épaules dans son Duffle-coat. Un filet de fumée exotique trahissait le joint qu’il serrait entre ses lèvres sous son ample capuche. Le gardien du dispositif de vidéosurveillance ne vit là qu’une silhouette banale, un passant ordinaire, semblable à mille autres. Il était pourtant le seul à serrer dans sa poche un pistolet à barillet.
Les parfums de pisse se mêlèrent bientôt à ceux de fritures annonçant un havre de paix ethnique, pauvre et sale où l’on payait les consommations en liquide en vidant ses poches et comptant au centime près. Un bar métissé, à vin et fritures comme il les aimait. La musique ne couvrait pas les rires ni les paroles ni même les confidences. Mais elle couvrait largement la planète. Nul besoin ici, de hurler dans l’oreille d’un voisin pour se faire entendre, les percussions et les cuivres étaient cent pour cent bio, sans micros ni larsens.
Un black se déhanchait au milieu d’une piste de danse, bientôt rejoint par deux blondes fadasses aux aisselles glabres et aux culs moulés dans leurs jeans serrés laissant échapper le fil d’un string rouge. Le comble d’une volupté de merde qui attirait tout de même le regard concupiscent de Django. Par bonheur, quelques latinos, ses sœurs métisses, félines et taillées dans l’airain de leur peau, n’avaient nul besoin de cirer de déo la touffe noire de leurs creux axillaires. Leur musc emplissait d’aise ses narines expertes.
Il avait commandé un « cuba libre », un verre pour ne pas trembler pensa-t-il, un seul pour ne pas louper sa cible, dix minutes pour la repérer, dix secondes pour l’approcher, une pour trois balles. La suite serait au feeling et dépendrait du zèle des videurs. Il était là pour éradiquer la connerie, un con sur commande, le con de quelqu’un. Django était un pro et n’acceptait pas n’importe quel con à dessouder.
Séparer le grain de l’ivraie, celui qui joue au con comme celui qui le fait. Le vrai con s’ignore, c’est pour cela qu’il ose aurait dit Audiard. Le connard tortionnaire de matou, le chasseur nostalgique des guerres coloniales, le jeune con fraîchement promu, le vieux con indéboulonnable, la conne coincée du cul, le gros con l’humour pendu aux couilles, le petit con imbuvable, le grand con m’as-tu-vu, tous ces cons-là n’étaient pas pour Django. Le facho light apolitique avait sa préférence. La peste brune avait ses racines, l’usage était de les dégommer avant contamination massive.
En autonome réputé, il se donnait le droit de ne pas tuer s’il estimait que le con en question n’en était pas un. Il n’était pas de ces fous de justice, qui balançaient des cocktails Molotov ou pire des grenades dans les bars à cons des grands boulevards rupins. Ceux-là, filaient ensuite dans leurs cars aménagés où les attendaient leurs chiens, leurs misères, leurs désillusions révolutionnaires et leurs tracts noirs barrés de rouge. Non, Django savait que la révolution ne se ferait qu’en chassant le con qui sommeille en lui, sa mission accomplie, il rentrerait à pied dans sa yourte camouflée au cœur de la garrigue, près de son potager et de la source pérenne seule connue de lui.
Il balaya la salle d’un regard circulaire et discret pour ne pas négliger d’autres prédateurs potentiels, du skin grimé au minet frontiste. Également armés, ces chasseurs de gauchos, de peaux mates et de païens étaient redoutables en rendant subtil la différence entre le chasseur de con et sa victime. Mais là était la noblesse du métier. Dans la guerre aux cons, il y avait toujours plus con que soi, telle était la règle acceptée de tous.
Le son d’un grelot le perturbait parfois. La tache noire qu’il distinguait mal dans le cou de l’armoire à glace pâle et chauve aux yeux bleus à quelques mètres à sa droite, le mit un instant en alerte, mais l’homme buvait du vin rouge et matait les déesses noires.
Ce ne fut guère difficile de repérer le con du soir, baraqué, cheveux millimétriques, tatoué classe, nez écrasé de boxeur, sapé distingué, trop pour le lieu. Bref, un marginal dans ce bar à vin crado.
Pour confirmation, Django vint s’asseoir à quelques pas de lui, juste assez pour entendre sa conversation. D’un abord sympa, l’homme alignait un français sans fautes de frappe, genre premier de la classe qui traîne au fond près du poêle. Celui qui fait le désespoir de sa mère et fait chier son père pour le fun. Des allures d’écrivain maudit fraîchement réhabilité au vu des pourboires qu’il distribuait.
Le révolté du dimanche crépusculaire qui ne sera pas là à l’aube du grand soir. Il parlait pourtant anti système, oligarchie, démondialisation et révolution… Nationale ! Bientôt, il décrira le mal absolu : le complot sioniste mondial avec un sourire en coin et une croix dorée pendant à son cou.
Django ne lui laissera pas ébaucher sa quenelle, le geste de ralliement des cons de services fraîchement bienvenus au club.
Une détonation et ses yeux se fixèrent. Un rictus étrange déforma sa bouche et Django s’effondra sur la table du dandy facho, une tache rouge dans le dos. Il ne mit qu’une fraction de seconde pour réaliser qu’il se faisait dessouder par le prédateur chauve au tatouage dans le cou qui, a mieux y regarder, ressemblait à… La mort interrompit la dernière réflexion de Django.
Dans la chasse aux cons, la négligence se paie cash.
Au milieu des cris et du tumulte soudain, pataugeant dans le sang chaud, un homme au crâne rasé, une croix gammée tatouée dans le cou, se faufila vers la sortie. Bientôt, sa silhouette massive à la démarche simiesque disparut dans la brume accompagnée du son caractéristique de grelots que fait un cerveau de pois chiche dans le crâne d’un nazillon.
Attention, dans la chasse aux cons, un con peut en cacher un autre.