J’en marche donc je fût

Paulo allait toujours de l’avant. Pas très droit en sortant du bistro, mais il avançait. Il en fit même sa devise du français de son mieux.

« J’en marche donc je fût ».

Il chassait le migrateur en temps de paix. Quand la guerre arriva, c’est naturellement qu’il décida de la faire, encouragé par son adage que pleins autour de lui avaient fait leur.

On en fit un exemple. Sale coup pour la sobriété. Un grand pas pour la société. Un tout petit pour l’humanité.

À son panache, l’on rallia les plus cons. La fleur au fusil ils allèrent.

Bientôt, les bombes sonnèrent. Il avança encore et encore, même avec un bras en moins puis une jambe. Il rampa alors puis ondula comme un vers quand ses deux derniers membres se détachèrent enfin.

Quand son cerveau s’éteignit son cœur continua de battre.

Si bien que la mort arrivât sans qu’il ne s’en rende compte, et tout ce qui suivit ensuite, du poivrot au héros qu’il devint. Les drapeaux, les médailles, les pleurs de la nation reconnaissante. Après la guerre, la vie reprit dans les abysses et ceux qui reculèrent ailleurs retournèrent au pays en vainqueur.

On loua longtemps le courage à Paulo. Sur les monuments à sa gloire était gravé « celui qui avançait » Sur les affiches de gnôle était inscrit « Celle de Paulo ». Dans les livres d’histoire, la date de sa mort… Sur les toiles, le cinéma de sa guerre. Au cirque, son grand cirque. Au cimetière, guichet fermé.

Des langues du monde entier et même dans la syntaxe des plus imparfaites, l’on chanta à l’unisson sa devise.

« Allons enfants ! J’en marche donc je fût »

Même si ça ne voulait rien dire au subjonctif comme en barrique ni même au son du canon ! Même si ça sonnait comme une marche de régiments. Comme un slogan de campagne militaire, électorale aussi. Ça fit élire des fachos, des écolos, des libéraux, des cocos, des cathos, des salauds même, mais jamais ne serait-ce qu’un héros, ancien déserteur.

Dans ce monde où la paix n’est jamais qu’une vacance de la guerre, le repos des rescapés bardés de breloques ou de leurs enfants nourris aux contes guerriers n’est plus à une connerie près.

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