Pensées rouges
Ils étaient là, à bloquer en rond, les gilets jaunes de la France d’en bas. Enfin d’en bas… Celle qui possédait encore sa voiture, sa télé, un toit et un phone qui faisait tweet.
D’en bas la silencieuse, celle courbée et qui ne faisait jamais grève parce que « ça ne sert à rien ». Celle qui ne casse rien, mais tuerait pour guère plus que sa tranquillité.
Qui votait bien, mais qui ne vote plus depuis que Sarko est parti.
Ou celle, la plus gourde aux aïeux communistes qui a choisie Marine
Ou celle qui plébiscita Jean-Marie parce que ses pères chantaient « Maréchal ! ».
Celle qui étale sur sa boîte aux lettres l’œil inquisiteur du voisin vigilant, même si elle ne sait pas grand-chose de ses frères de clôture, si ce n’est leur accent, la couleur de peau et du couvre-chef.
Ils étaient des centaines, ils étaient des milliers pour dire Non en colère, comme une évidence crasse, à un mazout trop cher. Ils étaient de jaune vêtu, contribuables zélés et citoyens méfiants.
Ceux qui ne se laissent pas marcher sur les pieds et qui peuvent encore chômer le samedi pour mieux bosser dimanche. Ceux qui partiront cassés à la retraite en criant :
— C’est injuste !
Comme certains dans la rue et de rouge vêtus le gueulaient 10 ans plus tôt, mais le gas-oil alors n’était pas cher et le permis de vieillir mal ou de travailler plus pour gagner plus, un bon compromis pour quelques « jaunes syndicats ».
Une évidence bicentenaire pour que ceux d’en haut ripaillent et arrosent de miettes ou de mitrailles la misère d’en bas.
Ils étaient des cent, ils étaient des milliers, petits bras, à grogner en rond et la mémoire courte. La rage au cœur soudaine de découvrir sur « Les champs » que la cogne bleu n’était pas là pour l’ordre, mais contre leurs mots d’ordre. Ahuris reconnaissant les vertus d’un « block jaune et brun » quand ils crachaient tantôt sur les ardeurs du blackblock.
Des milliers à penser que demain chanterait si le mazout moins cher.
Même si l’après-demain pleurait déjà. À penser light comme leur page Facebook.
Des millions peut-être à penser lourd comme du pétrole brut quand les piafs si légers pépiaient leur irréversible agonie.
Pensées jaunes
Ainsi pensait l’arpenteur de macadam en manifs déclarées, sécurisées, aseptisées, chronométrées et balisées. Toujours de bons conseils pour la révolution quand lui-même ne fut pas foutu en quarante ans de faire trembler le pouvoir. De faire vaciller un seul de ces pantins oints d’huile républicaine, de ces monarques enrubannés de tricolore, élus par défaut au suffrage universel pour des promesses jamais tenues et contre l’épouvantail fasciste.
Juste bons à sortir leurs mouchoirs pour pleurer quand leurs légitimes assemblées votaient des lois liberticides à faire bander de joie la famille Lepen en France, un Salvini en Italie ou un Orban en Hongrie.
Les jaunes ne votent pas et nul besoin de savoir pourquoi. Ils ne lèvent pas le poing, ils n’ont pas de chefs ni de représentants ni de drapeaux. Pas de temps non plus pour demander des autorisations de manifester, ils ont un rendez-vous avec l’histoire à ne pas manquer et la planète brûle.