Du sable plein nos cendres

Une rencontre singulière dans une maison de retraite, hélas! bien ordinaire. L’univers de la gériatrie dans une histoire d’amour.

— Madame ! Madame ! Il vous faut m’écouter, il doit y avoir une erreur. Je ne comprends pas pourquoi l’on m’a hospitalisée ici.

L’infirmière ne s’est même pas retournée, même pas un petit signe, rien. Elle est trop pressée.

— Oui, mais moi, je suis pressée de sortir d’ici. On m’a mise là, je ne sais plus pourquoi. Ah ! Oui, je crois que j’avais oublié d’éteindre le gaz, oui c’est cela ! Le gaz !

Le pavillon s’appelle les Primevères, les murs devaient être blancs avant le temps qui noircit tout, même la mémoire.

— Madame ! Madame ! je veux voir le directeur, je l’exige !

Une aide soignante me croise.

— Oui ! C’est cela, on va appeler le directeur ! Asseyez-vous là en attendant !

Elle m’a presque poussée sur un fauteuil roulant qui traînait là dans le couloir !

— Mais c’est un scandale ! On n’a pas le droit d’enfermer les gens pour rien !

Je suis là pourquoi ? Au fait. Ah ! le gaz ! Et alors, je suis chez moi ! En fait non ! j’étais chez moi…

— Je veux écrire au ministre !

Une femme en blouse s’arrête, elle me sourit

 

— Allons, calmez-vous, Madame Durand !

Tiens, elle sourit, et elle connaît mon nom, l’espoir renaît.

— Je veux écrire une lettre au ministre, ou au directeur !

La dame en blouse m’écoute, elle me regarde, elle m’aide à sortir de ce fauteuil roulant.

— Je vais vous chercher un stylo et du papier, asseyez-vous là, en attendant.

Elle m’installe à une table du réfectoire. Il y a de la musique, tient ! C’est Piaf ! Non ! Je me trompe, elle ne chantait pas les roses blanches.

— Tenez Madame Durand, voilà le stylo et le papier !

Une dame en blouse m’apporte de quoi écrire ! C’est merveilleux.

— Comment vous appelez-vous ? Vous êtes bien aimable !

Elle me prend la main en me regardant dans les yeux.

— Je m’appelle Mathilde.

Elle sourit toujours et ne me lâche pas la main, ça fait du bien.

— Moi c’est Rose ! Merci, euh ? J’ai oublié votre prénom.

— C’est pas grave M. Durand, je m’appelle Mathilde.

Je prends le stylo, je vais leur dire ma pensée, à ceux qui m’ont enfermée ici. Je sais écrire moi, j’étais professeure de français.

 

Madame, Monsieur.

 

Voilà trois jours que je suis enfermée contre mon gré dans un établissement déplorable, sale et mal entretenu. Où le personnel, insuffisant, ne prend pas la peine de répondre à mes doléances.

Ma voisine de chambre s’est levée deux fois cette nuit pour me tenir des propos incohérents. J’ai dû la raccompagner à son lit chaque fois parce qu’elle ne le trouvait plus. Au matin, elle s’est levée à nouveau pour uriner aux pieds de mon lit. J’ai appelé, mais personne n’est venu. La ménagère ne s’est déplacée qu’une heure plus tard pour passer un petit coup de serpillière, sans produit désinfectant et désodorisant. Ma chambre sent toujours l’urine à l’heure où je vous parle.

J’ai laissé chez moi ma chatte de compagnie Pomponette, dont je n’ai, depuis mon entrée, aucune nouvelle. Je vous demande d’user de tous vos pouvoirs pour me sortir de cet enfer.

Veuillez agréer Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

Voilà ! J’ai tout dit.

— Madame, j’ai fini ma lettre ! Il me faut une enveloppe.

Une nouvelle femme en blouse, s’empare de ma missive.

 

— Je m’en occupe ! Restez tranquille maintenant ! Sinon je vous enferme dans votre chambre !

 

Pourquoi me parle-t-elle ainsi ? Elle a pris ma lettre, elle croit que je ne l’ai pas vue la déchirer.

Une autre femme en blanc passe,

Alors Madame Durand ! Cette lettre, elle est faite ?

Tiens, elle connaît mon nom et elle sourit, il me semble que je l’ai vue quelque part !

— On se connaît ?

Elle me regarde en riant !

— Eh oui ! C’est Mathilde !

Mathilde effectivement je crois bien ! Ça va me revenir. En tout cas, celle-là est bien aimable. J’ai même envie de pleurer, je ne sais pas pourquoi. Ah ! Oui, pauvre Pomponette ! Qui lui donne à manger à ma petite chatte ? Qui ?

Je pleure. Je suis épuisée, voilà une semaine, ou un jour, je ne sais plus, que je ne dors pas pour recoucher ma voisine de chambre qui se lève sans cesse. Épuisée aussi de crier dans les couloirs que je veux sortir.

Avis des lecteurs

Lire sur Atramenta

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s